Mondial de Paris 2000

Interview de Detlev von Platen (Porsche)

Gilles Bonnafous le 30/09/2000

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Directeur Général de Porsche France, Detlev von Platen nous parle de la Carrera GT. Il nous livre également les projets et la stratégie de la marque.

Motorlegend : Avec la Carrera GT, Porsche a créé l’événement du Mondial. Parlez-nous de la philosophie et de la genèse de ce projet inattendu.

Detlev von Platen : Il s’agit d’une voiture directement issue de la course, mais adaptée à un usage routier, même quotidien, comme une 911. Porsche est une société indépendante qui, en fonction de ses capacités financières et humaines, doit faire face à des priorités, qui sont aujourd’hui le développement d’une gamme de produits. La marque a donc décidé de faire une pause dans son engagement en compétition. La décision de ne plus s’aligner (provisoirement) aux 24 Heures du Mans a été prise tardivement, alors que le développement d’une voiture était fortement avancé. Cette machine constitue la base de la Carrera GT. D’où le recours à des technologies de pointe, comme un châssis et une carrosserie 100% en carbone. Les disques de freins sont également en céramique selon un brevet Porsche. Très endurants (leur durée de vie correspond à 300 000 km), ils sont également très légers : le gain de poids représente 5 kilos par roue, un avantage important pour les masses non suspendues. Le cockpit est également issu de la course. C’est une voiture très maniable aux accélérations diaboliques.

La Carrera GT répond également au besoin exprimé par de nombreux constructeurs de présenter des GT à très hautes performances afin de donner à leur image une dimension supérieure, dynamique et sportive. Fidèle à sa vocation de spécialiste des voitures de sport, Porsche se devait de réagir face à la concurrence et de montrer que la bonne adresse demeure chez Porsche.

 Interview de Detlev von Platen (Porsche)  Interview de Detlev von Platen (Porsche)

Motorlegend : Vous insistez sur le fait que la Carrera GT constitue un vrai prototype et non une simple étude de style.

Detlev von Platen : Tout à fait. C’est la raison pour laquelle nous voulions la faire rouler. Nous avons donc invité la presse internationale à la découvrir à 6 heures du matin le jeudi 28 septembre 2000. La voiture a descendu les Champs-Elysées, puis s’est rendue à la Pyramide du Louvre. C’est un deuxième exemplaire qui se trouve sur le stand Porsche de la Porte de Versailles.

Motorlegend : Comment Porsche a réussi à garder le secret pour créer une surprise aussi inattendue ?

Detlev von Platen : Très peu de collaborateurs étaient au courant, au sein de l’usine comme dans l’organisation mondiale de Porsche. A la demande formelle de notre Président, Wendelin Wiedeking, pas plus d’une quinzaine de personnes ont suivi le projet.

Motorlegend : Quand la Carrera GT entrera-t-elle en production et pour quel volume ?

Detlev von Platen : La décision n’est pas encore prise. Elle dépendra de l’accueil que le public du Mondial réservera à la Carrera GT, mais les premières réactions s’avèrent très favorables. La production devrait démarrer en 2003. Il s’agit d’une voiture très différente des autres Porsche. Aucune pièce n’est commune avec les modèles de la marque. Ceci explique ce délai nécessaire à l’industrialisation. Quant au volume de production envisagé, il sera supérieur à 500 exemplaires sur le cycle de vie. Je précise que la voiture sera commercialisée avec un hard top.

Motorlegend : Tout en se recentrant sur la 911, Porsche a mis l’accent sur la création d’une vraie gamme avec le lancement du Boxster (sans parler du futur 4 x 4). Quelle est la situation de Porsche en France ?

Detlev von Platen : Avec le Boxster, nous voulions rendre la marque plus accessible. Après quatre années de vie de ce modèle, la courbe des ventes continue de grimper. C’est une vraie Porsche, qui est en passe de devenir un classique. En France, 45% de nos ventes portent sur le Boxster (dont une moitié de Boxster S) contre 55% pour la 911. Cette année, nous avons diffusé plus de 1000 voitures dans l’hexagone, soit une progression de 31% par rapport à l’an dernier (et contre 450 véhicules il y a deux ans). Et nous aurions pu faire mieux, si l’usine n’avait atteint sa capacité maximum de production. Nos délais de livraison sont hélas trop longs (jusqu’à six mois). Nous le déplorons, car Porsche est une marque de passionnés, qui ne souhaite en aucune façon donner une image d’arrogance.

Motorlegend : Vous avez procédé à une sorte d’aggiornamento industriel en passant d’un stade quelque peu artisanal à des moyens de production ultramodernes.

Detlev von Platen : Nous avons construit une usine ultramoderne et mis au point des process de pointe, que nous avons dû apprendre nous-mêmes. Mais nous tenons à garder une dimension humaine. Nous possédons par ailleurs une société filiale, qui vend ce savoir faire à d’autres entreprises. Avec Porsche Consulting, nous formons aujourd’hui des constructeurs aux process qui ont été mis en place chez Porsche.

Motorlegend : Quelle est aujourd’hui la santé de l’entreprise ?

Detlev von Platen : Porsche se porte très bien et, cette année, la firme a vendu 49 000 voitures dans le monde. Mais elle garde le souvenir d’une période moins faste, au début de la décennie 90. Nous avons remis beaucoup de choses en question, tant dans le développement des projets et l’outil de production qu’en matière de distribution. Un énorme travail a été accompli, notamment dans la productivité. Ainsi, le coût de production de la 911 représente aujourd’hui 50% de celui de la 993 il y a cinq ans. Notre chiffre d’affaires s’élève cette année à 23,5 milliards de francs (plus 13% par rapport à l’an dernier) et notre bénéfice est également en progression. Nous sommes aujourd’hui le constructeur le plus rentable au monde. Ceci est très important pour nous, car Porsche est très soucieux de son indépendance vis à vis de tous ses partenaires, notamment financiers. Les investissements concernant la troisième gamme de modèles, le 4 x 4 Cayenne, représentent des sommes très importantes et le développement de la firme est uniquement assuré par l’autofinancement. Telle est la volonté de nos actionnaires, mais aussi celle de nos clients, qui ne souhaitent pas que Porsche devienne le département marketing d’un grand groupe. Porsche doit garder son âme et ses racines.

Motorlegend : Il y a bien toutefois des synergies avec Volkswagen pour le développement du SUV ?

Detlev von Platen : Il n’y aura d’échange capitalistique avec aucun constructeur. Toutefois, ceci n’exclut pas des coopérations avec d’autres marques. Ainsi, pour notre 4 x 4, Porsche est le maître d’œuvre du développement d’une plate-forme commune avec le groupe Volkswagen. Mais cela s’arrête là. Les deux SUV seront totalement différents et spécifiques à chaque marque. Par exemple, la maniabilité du 4 x 4 Porsche sera différente de celle du Volkswagen. Toutes les valeurs Porsche seront réinterprétées dans ce nouveau segment des SUV, qui est en forte croissance.

Motorlegend : En quoi ce futur 4 x 4 sera une vraie Porsche ?

Detlev von Platen : Il est encore trop tôt pour en parler. Mais je puis vous assurer qu’on pourra clairement reconnaître une Porsche dans cette voiture. Aussi bien dans le look qu’au volant, ainsi qu’à la sonorité du moteur. Ce sera une voiture agile, à la fois performante et simple d’utilisation.

Motorlegend : Quelle est votre stratégie marketing pour ce véhicule et quel volume de production comptez-vous atteindre ?

Detlev von Platen : Notre première cible, ce sont nos clients. Nous savons qu’ils possèdent souvent deux ou trois voitures, dont un 4 x 4. Le Cayenne permettra de transporter toute la famille, sans renier le côté passionnel et émotionnel de la décision d’achat. Ce sera une voiture qui permettra de partager le plaisir de rouler en Porsche avec un plus grand nombre de personnes. Quant au volume de production, nous tablons sur 25 000 voitures au niveau mondial.

Motorlegend : Tous les constructeurs travaillent sur l’apport d’Internet à la distribution automobile et à la relation client-constructeur. Quelle est la position de Porsche à cet égard ?

Detlev von Platen : La période actuelle connaît des bouleversements importants dans la distribution, un domaine qui n’a pas beaucoup évolué au cours des quarante dernières années. Mais les produits Porsche possèdent une très forte valeur en termes d’image et ils ne se distribuent pas d’une manière banalisée. Nos clients ont besoin d’un contact humain pour avancer dans leur choix. Nous poursuivrons donc la distribution de nos véhicules à travers notre réseau de concessionnaires. Ce dernier doit toutefois évoluer et profiter des moyens qu’offre Internet. Pourquoi ne pas imaginer qu’un jour, en installant des caméras sur les chaînes, un client ayant commandé sa voiture aurait la possibilité de suivre son processus de fabrication. Les nouveaux moyens de communication doivent également permettre de développer un contact plus étroit avec la clientèle. Surtout de personnaliser la relation entre l’univers de l’automobile et le client. Ceci est particulièrement valable pour une marque comme Porsche, dont la clientèle exclusive a besoin d’une relation humaine de qualité. Le milieu de l’automobile a beaucoup à apprendre d’autres secteurs d’activité comme les services (je pense notamment à l’hôtellerie), qui sont très en avance sur ce point.

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