Saga Matra

La branche automobile de Matra est née de la volonté de diversifier l'activité de l'entreprise très marquée par l'image militaire. En 35 ans, Matra Automobile a dignement honoré la meilleure part du génie automobile français, l’innovation conceptuelle.

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RENAULT Espace

Gilles Bonnafous le 24/03/2003

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Réfléchissant sur les changements à l’œuvre dans la société des années 70, Matra constate qu'aucune voiture ne répond vraiment aux besoins d'une famille dans ses divers déplacements quotidiens ou de week-end, la maison de campagne avec les enfants, les jouets, le chien… C’est en 1978, à la suite d’un voyage aux Etats-Unis, que germe, dans l’esprit de Philippe Guédon, l’idée de l’Espace. Ayant observé les gros vans d’outre-Atlantique — à ne pas confondre avec le mini-van Chrysler, baptisé Voyager et lancé en même temps que l’Espace en 1984 —, avec lesquels les Américains partent en week-end avec leur famille, il met à l’étude un projet de van adapté à l'échelle européenne.

Première maquette P16
Première maquette P16 D.R
2ème maquette P16
2ème maquette P16 D.R

Plutôt que de s’en tenir à des dessins et maquettes, Philippe Guédon réalise un mulet roulant, plus efficace pour convaincre un futur partenaire. Il le fait avec les composants de la société partenaire de Matra, Simca-Chrysler, qui vient de passer dans le giron de Peugeot. Ainsi naît le prototype P18 construit sur la base d’une Simca 1508, dont le moteur 1600 cm3 est disposé transversalement et les roues arrière sont indépendantes. La modularité ne caractérise pas encore l’habitacle — l’idée viendra plus tard — et les sièges, comme la banquette arrière, sont empruntés à la Peugeot 604.

La voiture est présentée à Peugeot sur le circuit de Mortefontaine en 1980. La réunion se termine sans que Sochaux ne laisse paraître quoi que ce soit de ses intentions. La réponse négative vient quelques semaines plus tard par la bouche de Jean Boilot, bien que ce dernier paraisse, à titre personnel, sincèrement convaincu de l’intérêt du projet. Il renvoie Matra vers Citroën, qui fait promptement comprendre à Philippe Guédon que la firme aux chevrons n’a besoin de personne pour concevoir des voitures...

Maquette P17
Maquette P17 D.R
Maquette P18
Maquette P18 D.R

Avant de proposer le prototype à un constructeur étranger — Philippe Guédon souhaitait le présenter à BMW —, Jean-Luc Lagardère, qui connaît Bernard Hanon, souhaite d’abord le faire connaître à Renault. Après un premier feu vert donné par Bernard Hanon, Matra opère la reconversion en Renault de tout ce qui, sur la voiture, était signé Simca-Chrysler. Une plate-forme spécifique à plancher plat (contrairement à celle de la P18) est réalisée (aucune ne convenant dans la gamme Renault), tandis que la mécanique, en porte-à-faux avant, est placée en situation Nord-Sud — le moteur Renault ne se prêtant pas à une disposition transversale. De même, la suspension arrière est nouvelle. Par contre, le train avant est celui de la Fuego. L’habitacle modulaire ne comporte encore que cinq sièges. Par mesure d’économie, les phares et les feux sont empruntés au Trafic. La voiture mesure 4,25 mètres de long, soit une valeur inférieure à la R18.

Prototype P23
Prototype P23 D.R
Espace 1 TSE
Espace 1 TSE D.R

La voiture est officiellement présentée à Renault en 1982 : c’est la P 23, prototype de l’Espace. Malgré les réticences des techniciens, notamment sur le pare-brise du monocorps (soi-disant non homologable) et sur le plancher plat (au motif qu’il serait impossible d’en maîtriser les vibrations et l’acoustique), Bernard Hanon, complice de l’opération depuis le début, décide de produire la P 23. Philippe Guédon d’affirmer : « Sans Bernard Hanon, nous n’aurions jamais construit l’Espace. Ce n’est pas lui qui l’a conçue, mais c’est lui qui l’a voulue ».

Si l’Espace, lancée en 1984, est favorablement accueillie par la presse, son démarrage commercial s’avère catastrophique. Philippe Guédon : « Convergent alors, sur ma modeste personne, tous les sarcasmes ! ». D’autant qu’au caractère très novateur du véhicule s’ajoutent des problèmes de qualité. Matra perd alors 8000 francs par exemplaire produit, une somme considérable. Mais avec le temps, l’Espace va faire progressivement son chemin et l’équilibre financier sera atteint en mars 1986, soit deux ans après l’apparition du modèle sur le marché. Dès lors, les laudateurs de la voiture et de son concept ne manqueront pas, à commencer par ceux qui les avaient d’abord dénigrés…

Intérieur de l'Espace 1 TSE
Intérieur de l'Espace 1 TSE D.R
Espace 1 GTS
Espace 1 GTS D.R

Techniquement, l’Espace présente deux caractéristiques, qui méritent d’être soulignées. Sa structure métallique bénéficie d’une galvanisation par immersion dans un bain de zinc en fusion, gage d’une protection de quinze ans contre la corrosion. Cet atout, ajouté à une carrosserie réalisée à partir de panneaux en matériau composite incorrodable, explique l’excellent vieillissement de la voiture, dont de nombreux exemplaires en bon état roulent aujourd’hui près de vingt ans après leur sortie d’usine. De plus, grâce au brevet Matra SMC (Sheet Moulding Compound), un composite fabriqué à haute pression dans des moules métalliques, l’Espace parviendra, au fil des années, à une qualité de surface et de peinture identique à celle de la tôle. Du reste, des ingénieurs BMW, venus s’informer à Romorantin dans les années 90, jugeront cette qualité digne des modèles de la série 7.

Eléments de carrosserie en polyester
Eléments de carrosserie en polyester D.R
Structure métallique galvanisée
Structure métallique galvanisée D.R

Par ailleurs, et malgré les difficultés techniques que cela représentait, Matra a développé pour l’Espace une suspension arrière semi-indépendante, que Philippe Guédon estimait mieux adaptée aux voitures à haut centre de gravité que la suspension indépendante — avec laquelle le véhicule prend du roulis, obligeant à monter d’énormes barres stabilisatrices. La plupart des monospaces ont aujourd’hui repris ce système.

L’Espace connaît une première évolution avec une face avant remodelée, qui reçoit une nouvelle calandre et des phares spécifiques (Espace 1 phase 2). Parallèlement, grâce à un choix élargi de motorisations (apparition du deux litres injection de 120 ch), on s’achemine vers la constitution d’une gamme. Dans le sillage d’Audi et de sa Quattro, une version à transmission intégrale est lancée, équipée d’un visco-drive. 5000 exemplaires seulement en seront produits et l’expérience ne sera pas renouvelée sur l’Espace 3 en raison de la faiblesse du marché.

Espace 1 phase 2
Espace 1 phase 2 D.R
1987 Espace Quadra
1987 Espace Quadra D.R

Pour contrer l’effet « camionnette », la deuxième génération de l’Espace, présentée en 1991, marque le souci de « berliniser » la voiture dans son design comme dans ses formes. Une évolution qui sera confirmée en 1996 par la troisième génération, de loin la plus réussie du point de vue esthétique. L’Espace 3 se signale également par le lancement d’une version longue, dite « Grand Espace », destinée à contre-carrer les reproches faits au modèle dépourvu de coffre à bagages dans sa configuration à sept places. Et ce, malgré les réticences initiales de Philippe Guédon, pour qui le succès de l’Espace tient pour une bonne part au respect d’un « nombre d'or », c’est-à-dire un équilibre entre diverses contraintes : espace intérieur, encombrement, maniabilité et facilité de parking.

Espace 2
Espace 2 D.R
Espace 3
Espace 3 D.R

Comment expliquer le succès providentiel de l’Espace ? Ecoutons Philippe Guédon : « Au départ, nous avions une très forte intuition. Mais la réalité a dépassé nos espoirs avec la mode du cocooning et le sentiment de la vanité de la vitesse, qui sont venus renforcer le succès du modèle. L’Espace est devenue une voiture choisie par les enfants, payée par le père et (surtout) conduite par la mère. Elle est passée du statut de véhicule de niche à un segment de marché, puis à un standard de gamme. Nous avons hérité d’une activité industrielle et commerciale, et une profitabilité, qui ont dépassé de très loin ce que nous avions imaginé ».

Il faut dire que la concurrence s’est montrée particulièrement peu inspirée. En copiant platement l’Espace et a minima, sans en enrichir le concept, en proposant des véhicules au design « utilitaire » (Peugeot et Mercedes), de plus avec beaucoup de retard pour certains, les constructeurs ont rendu le meilleur service à Matra et Renault. Pendant ce temps, les deux partenaires faisaient progresser la voiture en la « berlinisant », en améliorant son confort et sa modularité, tout en multipliant les motorisations (V6 notamment) et les transmissions (boîte automatique).

Prévue au départ pour durer quatre ou cinq ans avec une prévision de production comprise entre 45000 et 60000 unités, l’Espace a été construite à 874 242 exemplaires en 18 ans. Au passage, elle avait inventé un nouveau type d’automobile, le monospace. Comme le note avec humour Philippe Guédon, «Nul n’est totalement à l’abri du succès»…

RENAULT
D.R
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