Saga Pegaso

Rarement dans l’histoire, une marque automobile aussi éphémère aura laissé dans son sillage un parfum aussi corsé que Pegaso.

sommaire :

Histoire : Wifredo Ricart

Gilles Bonnafous le 02/11/2004

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Wifredo Ricart naît à Barcelone en 1897. Après des études d’ingénieur, il s’associe à Francisco Perez pour fonder en 1920 la société des Moteurs Ricart-Perez. Si celle-ci ne produit que des moteurs statiques sous la marque Rex, Ricart ne tarde pas à construire une voiturette de course de 1500 cm3 à double arbre à cames en tête. Développant 50 ch à 5000 tr/mn, un régime rapide pour l’époque, elle se fera un nom dans le milieu de la compétition.

Wifredo Ricart
Wifredo Ricart D.R
Ricart-Perez, 1922
Ricart-Perez, 1922 D.R

Suite à un différend avec son associé, Ricart crée seul sa propre entreprise en 1926, Motores y Automoviles Ricart SA. La même année, il présente au salon de Paris sa nouvelle voiture de sport, la Ricart 226, une six cylindres double arbre de 1,5 litre à la technique sophistiquée (culasse en alliage, bielles en alu, carter sec). Tournant également à 5000 tr/mn, son moteur entraîne la 226 à 140 km/h. Connaissant des difficultés financières, Ricart doit ensuite s’associer à Felipe Baillé, le constructeur des Espana. Ainsi naissent les Ricart-Espagna, dont l’existence sera brève.

En 1936, au moment où éclate la guerre civile, Ricart est à Milan chez Alfa Romeo, où il est nommé chef des études spéciales. Il travaille à la conception de moteurs d’avion. Mais après le rachat de la Scuderia Ferrari par Alfa Romeo (création d’Alfa Corse), Enzo Ferrari se trouve rattaché à Wifredo Ricart, en charge de la direction des projets spéciaux. Dotés tous les deux d’un caractère fort, les deux hommes ne manquent pas de se frictionner — et Ferrari quittera finalement Alfa Romeo.

Ricart 266, 1927
Ricart 266, 1927 D.R
Ricart 1928
Ricart 1928 D.R

En 1940, Ricart devient le responsable technique de la marque. Il travaille notamment à un moteur d’avion de 2500 ch à 28 cylindres en étoile et à la 6C 2000 Gazzella, appelée à remplacer la 2500 après la guerre — elle ne sera jamais construite. S’agissant des machines de compétition, il planche sur la monoplace de Grand Prix Tipo 162 au moteur seize cylindres en V (à 135°) de trois litres suralimenté (490 ch). Mais la guerre mettra un terme au projet. Le chantier le plus important de Ricart est sans doute la monoplace Tipo 512 à moteur central conçue à partir de 1939. Son 12 cylindres à plat suralimenté de 1500 cm3 sera testé à 335 ch en 1941. Elle aussi sera victime de la guerre.

Alfa Romeo 6C 2000 Gazzella
Alfa Romeo 6C 2000 Gazzella D.R
Ricart au volant de l'Alfa Romeo Tipo 162
Ricart au volant de l'Alfa Romeo Tipo 162 D.R

En 1945, Wifredo Ricart rentre en Espagne pour développer l’ENASA, une entreprise nationale typique du capitalisme d’Etat franquiste et dédiée à la construction de camions et d’autocars. Alors que l’Espagne a besoin de modèles économiques et bon marché, Wifredo Ricart monte bientôt un département automobile afin de réaliser un projet fou, construire une voiture d’exception, une GT de prestige à l’image des Ferrari naissantes mais à la technique plus sophistiquée. Cette création relève de sa seule initiative. Elle va concrétiser le rêve d’un ingénieur de talent à la carrière jusque-là contrariée. Elle ne devra son existence qu’à l’entêtement de son créateur.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, Ricart parvient à obtenir de l’ENASA l’appui logistique et les budgets nécessaires à son projet extravagant, voire incongru. Comment le lancement d’un ovni aussi surréaliste a-t-il été possible ? Fort des exemples mussolinien et surtout hitlérien quant à l’utilisation des exploits automobiles à des fins de propagande, le pouvoir franquiste savait que le succès d’une GT de ce rang « made in Spain » auprès d’une élite mondiale placerait l’Espagne sous les feux de la rampe. Et qu’il offrirait du pays et de son savoir faire technologique un visage aussi flatteur que nouveau.

Alfa Romeo Tipo 162
Alfa Romeo Tipo 162 D.R
Monoplace Tipo 512
Monoplace Tipo 512 Motorlegend.com

Ricart saura aussi convaincre quelques ingénieurs de l’ENASA, fiers de se lancer dans une pareille aventure et plus enthousiastes à l’idée de construire une brillante GT que de travailler sur des camions. Dès 1948, il trace les grandes lignes de la Z102. Mais que signifie donc cette appellation ? Z, céta en espagnol, fait référence au CETA (Centro de Estudios Tecnicos de Automocion) créé par Ricart en 1946, 102 est le deuxième projet dudit CETA (le premier étant celui d’une berline V12 qui ne connaîtra pas de suite). Face à la Z102, Ferrari n’a pas d’équivalent à opposer, ce qui n’est pas fait pour déplaire à Ricart compte tenu du passé houleux qui a opposé les deux hommes. Qui choisirait un cheval cabré s’il peut s’offrir un Pégase !


D.R

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Après l’échec de la Z102, Ricart restera quelques années au CETA, mais sans vrai pouvoir. Il jouera toutefois un rôle important dans la naissance de la SEAT, dont la 600 constituera le socle de la motorisation de masse de l’Espagne. Il occupera ensuite des postes de responsabilité dans de grandes entreprises liées à l’automobile comme Lockheed et DBA. Avant de se consacrer aux sociétés d’ingénieurs de l’automobile et à leur fédération internationale qu’il présidera, tout en méditant sur ses illusions perdues… Toujours est-il que l’Espagne lui est redevable d’avoir donner naissance à l’une des plus belles et des plus mythiques GT de l’histoire.

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Commentaires

avatar de mourtada
mourtada a dit le 26-03-2016 à 20:31
très bon sujet