Saga Ford GT40

Tant par son ampleur que par sa signification, l'offensive de Ford aux 24 Heures du Mans dans les années soixante a laissé des traces profondes dans notre inconscient collectif.

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La course comme argument commercial

Didier Lainé le 25/02/2003

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Tant par son ampleur que par sa signification, l'offensive de Ford aux 24 Heures du Mans dans les années soixante a laissé des traces profondes dans notre inconscient collectif. Ce fut avant tout l'histoire d'un duel mémorable opposant un "géant" de l'industrie automobile à un "petit" constructeur spécialisé. De cet affrontement très médiatisé est née l'une des voitures de compétition les plus légendaires de notre après-guerre : la Ford GT 40. Quatre décennies plus tard, ses formes idéales évoquent toujours quelques-unes des plus belles pages de l'histoire des "24 Heures". Lors du Salon de Detroit 2002, le groupe Ford en mal de nouveautés fracassantes a exhumé ce "mythe inoxydable" en lui offrant une descendance chargée de symboles. Un "revival" qui démontre par l'absurde que les constructeurs américains ont surtout un passé à faire valoir, à défaut de nous proposer un présent aussi motivant...

Henry Ford II (ici à gauche en compagnie de son grand-père, fondateur de
Henry Ford II (ici à gauche en compagnie de son grand-père, fondateur de D.R
Henry Ford II, 21 ans, en compagnie de son grand père, Henry Ford, et son père, Edsel Ford
Henry Ford II, 21 ans, en compagnie de son grand père, Henry Ford, et son père, Edsel Ford D.R

La GT 40 procède d'un grand caprice. Celui d' Henry Ford II, "l' héritier" du Groupe Ford qui rêvait de gloire et de grandeur. Il avait les moyens de ses ambitions. Il lui restait à trouver les hommes capables de faire gagner Ford en compétition...

Petit-fils d' Henry Ford, Henry Ford II est toujours apparu aux yeux de ses collaborateurs les plus proches comme un homme impulsif et versatile. Au demeurant, ce "dynasteur" imprévisible a toujours su choisir "ses" hommes à défaut d'avoir su les garder. Et c'est bien son état-major qui a contribué à faire du groupe Ford (le deuxième du genre à l'échelle américaine) une entreprise aussi performante que rentable dans les années d'après-guerre en partant d'un "empire" en déclin laissé quasiment en faillite par son fondateur.

Pour autant, Henry Ford II rêvera toujours de prendre la place du "Numéro 1", à savoir la toute-puissante General Motors. Au début des années soixante, le contexte paraissait tout à fait propice à ce genre de défi. Dans cette perspective, une nouvelle stratégie commerciale fondée sur une "image" rajeunie du groupe et de ses produits allait s'échafauder progressivement d'une réunion à l'autre. Une image que l'état-major de Ford envisagera de façonner en s'appuyant principalement sur l'impact médiatique de la compétition. Un programme ambitieux que Charles H. Patterson, l'un des bras droits d' Henry Ford II, a ainsi résumé à l'époque : -" Notre nouvel engagement dans la course est en fait un prudent investissement financier. La participation de Ford à la compétition vise à démontrer à un large public quelles performances nous sommes capables de donner aux voitures que nous construisons ainsi que notre confiance en nous-mêmes. A nos yeux, rien ne suscite plus rapidement l'enthousiasme que les victoires en course. On peut le constater : la compétition améliore "l'espèce". Celle des voitures mais aussi celle des ingénieurs et des stylistes qui sont chargés d'adapter les enseignements de la course à l'automobile que l'on peut utiliser tous les jours..."

"Total Performance"

En l'espace de quelques saisons, Ford va s'impliquer de plus en plus dans une multitude de disciplines sportives, du rallye (avec les Ford Cortina Lotus et Falcon Sprint) au challenge Nascar (championnat américain disputé sur circuit et réservé aux voitures de tourisme) en passant par les 500 Miles d'Indianapolis, et les épreuves de Formule 3 et Formule 2, ce déploiement de force étant symbolisé par le nouveau slogan du groupe : "Total Performance". Mais Henry Ford II entend aller plus loin. Notamment en inscrivant son patronyme au palmarès des 24 Heures du Mans, course mythique par excellence, qui connaît alors son apogée en termes de notoriété, de part et d'autre de l'Atlantique.

1965 : Jim Clark remporte les 500 Miles d' Indianapolis sur une Lotus à moteur Ford.
1965 : Jim Clark remporte les 500 Miles d' Indianapolis sur une Lotus à moteur Ford. D.R
Frank Gardner au volant d'un coupé Ford Falcon Sprint en 1967.
Frank Gardner au volant d'un coupé Ford Falcon Sprint en 1967. D.R

Depuis 1960, cette grande épreuve d'endurance est devenue la "chasse gardée" de Ferrari qui n'a plus aucun adversaire à sa mesure sur la piste mancelle et collectionne donc les victoires année après année. A l'époque, le constructeur italien jouit déjà d'une immense popularité à l'échelle internationale grâce à ses multiples succès en course. En industriel pragmatique, Henry Ford II songera tout simplement à faire l'acquisition de Ferrari pour brûler les étapes. En utilisant à bon escient le savoir-faire et l'expérience de ce constructeur surdoué, Ford pouvait ainsi reprendre à son compte ses futures victoires et se forger un palmarès incomparable.

Jim Clark a su encore tirer le meilleur profit du potentiel de la très performante Ford Cortina Lotu
Jim Clark a su encore tirer le meilleur profit du potentiel de la très performante Ford Cortina Lotu D.R
Né en 1949, le challenge
Né en 1949, le challenge "Nascar" va progressivement mobiliser les forces des grands constructeurs a D.R

Contrairement à certaines rumeurs infondées, Enzo Ferrari n'aurait pas éconduit, d'emblée, les premiers négociateurs dépêchés à Maranello par Henry Ford II au début de l'année 1963. Son patriotisme revendiqué lui servira surtout à faire monter inconsidérément les enchères en faisant pression sur le groupe Fiat qui lui apportait déjà un soutien non négligeable sans pour autant s'être porté acquéreur. Mais surtout, au delà de l'épaisseur de l'enveloppe, Ferrari entendait garder la haute main sur son département compétition, une exigence qui lui aurait certainement valu de croiser le fer avec ses futurs "tuteurs" plus ou moins conciliants. Après une succession de propositions infructueuses, les pourparlers seront finalement suspendus, Enzo Ferrari ayant, dans l'intervalle, obtenu l'assurance que le groupe Fiat lui apporterait une aide plus significative que par le passé (prélude à une entrée directe dans son capital) tout en lui laissant une complète autonomie de décision en compétition. Réagissant rapidement à cet "insolent" camouflet, Henry Ford II changera aussitôt de stratégie en décidant d'affronter Ferrari sur son terrain faute d'avoir pu l'absorber...

Premières ébauches

Dans un premier temps, l'étude d'un premier prototype de compétition sera confié à Roy Lunn (alors directeur du Vehicle Concept Department) un ingénieur anglais anciennement rattaché à Ford Angleterre et qui s'était fait remarquer de la direction en dévoilant son concept-car "Mustang 1" à moteur central en 1962. Ce projet de voiture de sport compacte et légère servira, un temps, de base de développement mais, après quelques semaines de tâtonnements infructueux, Henry Ford II reviendra à son plan initial en confiant la direction du projet à un "spécialiste" extérieur, à savoir Eric Broadley, jeune concepteur-constructeur des monoplaces Lola qui s'était fait remarquer du grand public en accédant à la Formule 1 six ans seulement après ses modestes débuts en Formule Junior.

Roy Lunn est l'auteur de ce prototype à moteur central baptisé
Roy Lunn est l'auteur de ce prototype à moteur central baptisé "Mustang 1". Un concept original qui D.R
La Lola GT d'Eric Broadley. Sa conception ambitieuse (structure monocoque et berceaux auxiliaires) s
La Lola GT d'Eric Broadley. Sa conception ambitieuse (structure monocoque et berceaux auxiliaires) s D.R

Sa monoplace de Grand Prix, dévoilée en 1962, était en outre la plus légère et la plus petite du plateau et son V8 Coventry-Climax lui conférait des performances très satisfaisantes. L'année suivante, Eric Broadley devra cependant renoncer à persévérer en Formule 1, faute de moyens mais il saura opportunément se reconvertir en présentant un très intéressant prototype à moteur central (un V8 Ford 4, 2 l, en l'occurrence), la Lola "GT", dont la conception audacieuse (sa structure était formée d'un caisson central autoportant et de deux "bâtis" auxiliaires faisant office de berceau accueillant l'ensemble motopropulseur et les organes de suspension) laissait augurer bien des perspectives de développement.

L 'étroit compartiment-moteur de la GT 40 contraindra les ingénieurs à faire passer les échappements
L 'étroit compartiment-moteur de la GT 40 contraindra les ingénieurs à faire passer les échappements D.R
Le V8 retenu pour la future GT 40 était un 260 ci ( 4,2 l) dérivé du
Le V8 retenu pour la future GT 40 était un 260 ci ( 4,2 l) dérivé du "small block" Fairlane mais pro D.R

Par l'entremise des dirigeants de Ford Angleterre, Eric Broadley sera approché au début de l'été 1963 par l'état-major du groupe qui lui proposera de reprendre à zéro la conception du prototype Ford en respectant un délai particulièrement réduit : la voiture devait en effet être prête pour les 24 Heures du Mans 1964. Ce qui sous-entendait qu'elle participerait aux essais préliminaires d'avril. En contrepartie, Ford s'engageait à mettre à disposition d'Eric Broadley sa formidable logistique, à commencer par une batterie d'ordinateurs sophistiqués programmés pour simuler des centaines d'heures d'essais et calculer la résistance d'une multitude de pièces fabriquées sur mesure pour la voiture (ce sera le premier exemple concret d'une conception assistée par ordinateur adaptée à un modèle de compétition). Mais Eric Broadley pourra aussi et surtout compter sur le précieux renfort de John Wyer (l'ancien patron d'écurie d'Aston Martin), de Roy Lunn (déjà cité) et du jeune pilote Bruce Mac Laren, promu pilote-essayeur chez Ford. Constituée en août 1963, cette "dream-team" allait immédiatement se mettre au travail en s'installant à Slough, en Angleterre. Et c'est dans la plus extrême urgence que sera achevé le premier exemplaire de la Ford GT 40 le 1er avril 1964. Un véritable tour de force compte tenu du "cahier des charges" imposé...

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