Histoire : Le circuit de Monaco

le 05/08/2005

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Si , les yeux dans les yeux, quelqu'un proposait aujourd'hui à Max Mosley, président de la FIA, d'organiser un grand prix de formule 1 entre l'avenue Charles de Gaulle et le Boulevard Emile Zola de Chalons sur Creuse, il est probable qu'il sauterait sur son téléphone pour demander à l'hôpital psychiatrique voisin de venir le débarrasser au plus vite de son étrange interlocuteur...

Et pourtant, en 1928, lorsqu'on décida de "créer" le circuit de Monaco, la chose sembla si peu incongrue qu'il fallut moins d'un an entre le projet et la première course...

Circuit de salon, autodrome urbain, circuit-toboggan , tourniquet, le tracé qui serpente le long des rues de la principauté s'est vu attribuer quantité de surnoms par les journalistes en mal d'images fortes pour définir ce circuit atypique, tracé en pleine ville, au-dessus de la mer.

Il faut bien dire que le Grand Prix de Monaco disputé sur cette piste échappe à tous les qualificatifs et à toutes les règles communément admises (et obligatoires!) notamment en matière de sécurité.

Le circuit serpente au milieu d'une ville plus habituée aux paillettes des princesses qu'aux rugissements des bolides qui viennent en découdre chaque printemps...

Alors, pourquoi la F1 à Monaco ? Quelle imagination débridée à pu concevoir une telle "folie" ?


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Le tracé :

1) Ligne droite de départ

2) Ste Dévote

3) Ligne droite Hôtel de Paris

4) Le casino

5) S de l'Hôtel de Paris

6) Courbe Mirabeau

7) Virage de la Gare

8) La descente après la Gare

9) Entrée du tunnel

10) Le tunnel

11) La descente vers le môle

12) Le virage du Bureau de Tabac

13)la piscine

14)le gazomètre

15)l'arrivée

Voila comment tout a commencé :

Un riche fabricant de cigarettes monégasque, Monsieur Antony Noghès, Président de l'Automobile Club et ami personnel du prince Louis II, eut, en 1928, l'idée apparemment saugrenue de transformer, pour une semaine, la paisible principauté en un assourdissant manège de voitures. Il faut dire que Noghès n'en était pas à son coup d'essai. Avec la complicité de Gabriel Vialon, il avait déjà habitué les monégasques à voir, chaque hiver, la corniche envahie par les concurrents du rallye également célèbre qu'il avait créé en 1911...

De multiples raisons l'avaient incité à imaginer une course automobile sur le territoire même de la Principauté :son amour de l'automobile bien sûr, mais aussi le tourisme, qui, en ces temps de découverte des plaisirs balnéaires, en retirerait un bénéfice certain. Le prestige ensuite car ce serait une nouvelle manière de réaffirmer la "personnalité" du rocher face à une France où certaines voix commençaient à parler d'une possible "annexion"...

La place manquant cruellement et le relief se prêtant mal à la construction d'un autodrome, l'idée de courir à travers les rues de la ville s'imposa tout naturellement.

Sous la direction du Prince Louis II, les experts de l'Automobile Club monégasque étudièrent le tracé et le projet fut mis à exécution immédiatement. Il faut dire, qu'à l'époque, la réglementation était des plus incertaines et que l'essentiel des préoccupations de ces apprentis organisateurs allait surtout vers le choix d'un tracé "pratique" et "touristique" . La question de la sécurité des pilotes et des spectateurs n'était posée qu'en élément accessoire. Le spectacle avant tout!

La décision ayant été prise de faire disputer le premier Grand Prix dès 1929, il fallait faire vite.

Le tracé choisi partait du boulevard Albert 1er, avenue donnant sur le port et bordée par une série de grands immeubles ; elle tournait légèrement à droite jusqu'à la première courbe, dite de Sainte-Dévote, (car elle longeait l'église de Sainte-Dévote, sainte patronne de la principauté). Par une pente assez raide, bordée de quelques grands hôtels, on s'élevait ensuite jusqu'à plus de 40 mètres au-dessus du niveau de la mer, et on aboutissait sur la place du Casino.

Après être passés entre l'Hôtel de Paris et le Casino, et avoir longé les trottoirs bordant les bijouteries et les boutiques de mode, les concurrents s'engouffraient dans la descente, en direction de l' Hôtel Mirabeau.

Toujours en descente, on arrivait, après un virage à droite très refermé au virage de la Gare ; un nouveau changement de direction ramenait les coureurs devant l'entrée de l'hôtel, puis on franchissait une nouvelle courbe pour déboucher, après être passé sous les arches du pont de chemin de fer, au bord de la mer.

A l'exception du tronçon de piste passant sous un tunnel, connu sous le nom de Tunnel du Tir au Pigeon, les concurrents ne perdaient plus la Méditerranée de vue ; continuant à descendre jusqu'à ce qu'ils aient rejoint le niveau de la mer, ils quittaient le boulevard Louis II pour arriver, en passant par une chicane, sur le quai des Etats-Unis, au revêtement composé de petites pavés.


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En 1929
En 1929 D.R.

Le parcours prévu par l'équipe Noghés comprenait à la hauteur d'un bureau de tabac placé en plein milieu de la courbe, un virage à gauche qui rejoignait le quai Albert 1er, c'est-à-dire la contre-allée de la ligne droite servant de point de départ.

L'ultime difficulté était une épingle à cheveux, dite du « Gazomètre » en raison de la présence de réservoirs à gaz dans ce secteur, presque à l'angle de l'avenue du Port.

Lorsque ce tracé fut connu, de nombreux commerçants se jugeant lésés par la fermeture de certaines rues de traverse, protestèrent violemment et le sentiment, au sein même de la population locale se trouva très partagé. Bruit, odeurs, encombrements, difficultés de circulation, rien qui semblait très positif ni très profitable dans cette folle entreprise...

S'il n'y avait eu la caution princière à ce projet, il est probable qu'il n'ait jamais pu voir le jour. Pour calmer les commerçants, on imagina néanmoins un fond spécial destiné à les dédommager des préjudices qu'ils pensaient devoir subir.. L'idée de la course plaisait malgré tout à beaucoup d'autres riverains, impatients de voir "depuis leurs fenêtres" à quoi ressemblait un Grand Prix.

Le 14 avril arriva. Les concurrents s'élancèrent mais il apparut rapidement que nombre d'automobiles n'étaient pas du tout adaptées à un tracé aussi sinueux. Les abandons se succédèrent et ce fut W.G Williams, sur une "petite" Bugatti type 35 qui l'emporta devant celle de Bouriano, précédant lui-même la Mercédes SSKL de Caracciola. La première leçon que tirèrent les concurrents de cette nouvelle expérience était que ce circuit nouveau se révélait extrêmement sélectif et qu'il nécessitait des voitures aux châssis courts, parfaitement maniables.

Noghès, quant à lui, avait le droit d'être satisfait. Le premier Grand Prix s'était déroulé sans incident notable et avait conquis la population. Le tracé était finalement si bon qu'on le conserva inchangé jusqu'en 1972 !

Certains lieux qui avaient donné leurs surnoms aux virages ont peu à peu disparu mais jusqu'à aujourd'hui leurs appellations n'ont pas changé. La vieille gare ainsi que l'ancien Hôtel Mirabeau n'existent plus, et le Tir aux pigeons a aujourd'hui cédé la place à un gigantesque complexe hôtelier. Les temps ont changé, mais le «circuit-salon» vit toujours en compagnie de ses noms fantômes.

S'il y a un domaine où les choses ont évolué avec le temps c'est bien, en fait, celui de la sécurité.

Il y a eu, par bonheur, fort peu d'accidents mortels sur le circuit monégasque. Certes, on a enregistré au cours des multiples éditions du Grand Prix de Formule 1 et de la course qui se dispute la veille de très nombreux accidents mais, dans la très grande majorité des cas, ces accidents de course furent finalement assez "ordinaires" pour ce type d'épreuve.

Le Grand Prix ne s'est terminé tragiquement qu'à cinq reprises : Faggioli a été victime d'un très grave accident en 1952 (il est mort 15 jours plus tard) ; Lorenzo Bandini s'est trouvé irrémédiablement coincé dans sa Ferrari rouge en flammes en 1967 (il a succombé quelques jours après) ; le pilote anglais Dennis Taylor et le motocycliste Norman Lincar ont péri (au cours du seul Grand Prix motocycliste disputé à Monte-Carlo) ; un commissaire a été tué par une roue folle. Sans oublier le terrible accident du grand Caracciola en 1933.

Sur les quais bordant le port, on a assisté deux fois à un accident très spectaculaire : le plongeon dans la mer !

Cela est arrivé à Alberto Ascari en 1955, et dix ans plus tard à Paul Hawkins. Dans les deux cas, les secours spécialement prévus à cet effet,sont intervenus sans perdre un instant et les pilotes en sont sortis indemnes.

La partie du port qui longe le quai des Etats-Unis est sans cesse parcourue par un bateau ayant à son bord une équipe de plongeurs et doté d'une grosse grue pour permettre de récupérer rapidement les voitures égarées.

C'est ainsi qu'ont été « repêchés », Ascari et Hawkins. L'idée de faire patrouiller un bateau dans cette zone avait été inspirée aux organisateurs en voyant Louis Chiron, le champion monégasque, risquer de tomber à l'eau à la suite d'une spectaculaire embardée.

Ce faible nombre relatif d'accidents mortels est sans nul doute autant dû à la configuration assez lente du terrain qu'à Sainte Dévote qui veille sur le circuit du haut de son clocher...

Le fait est qu'on a peine à imaginer ce qui se passerait si deux autos lancées à pleine vitesse s'accrochaient sur le boulevard Albert 1er quand, à plus de 200 km/h, elles se trouvent à trois ou quatre mètres des tribunes archi-combles...


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Quand on pense que, d'après les derniers règlements, le public doit rester à plusieurs dizaines de mètres du bord de la piste, protégé par des bacs à sable, des rails de sécurité et deux ou trois barrières de filets d'arrêt...on frémit en voyant les spectateurs si proches qu'ils sentent passer le vent des bolides...

On a évidemment beaucoup parlé de la « sécurité » au GP de Monte-Carlo.

Tout le monde a donné ses conseils. Jackie Stewart, qui avait un avis autorisé disait: « C'est un des circuits qui force à se donner à fond ; personnellement, je l'apprécie parce qu'il ne ressemble à aucun autre et aussi parce que les organisateurs ont fait tout leur possible sur le plan sécurité.

On prétend que les rails de sécurité sont trop nombreux ; c'est possible, mais il vaut mieux être protégé par ces barrières que de s'écraser contre un réverbère ou entrer dans la vitrine d'un magasin ou en plein public. Tel est du moins mon avis ».

En 1972-1973, des modifications ont été apportées au circuit. On a commencé par déplacer les stands du boulevard Albert 1er (où ils se trouvaient sous les arbres, entre deux lignes droites raccordées par la courbe du « Gazomètre ») au bord de la mer, quai Kennedy, parallèle au quai des États-Unis.

Cette solution a été adoptée en 1972 par la Grand Prix Drivers Association qui estimait trop dangereux l'emplacement des stands à cet endroit.

L'expérience ne dura qu'un an et l'on procéda, l'hiver suivant, à de grands travaux qui furent terminés juste avant le Grand Prix 1973.

Avec la construction d'un nouveau tronçon reliant la courbe du « Bureau de Tabac» au Stade Nautique, on a ajouté 133 mètres aux 3145 mètres du parcours (dont la longueur totale passa à 3278 mètres) ; il fait le tour de la piscine avant de longer le port et de regagner le secteur du Gazomètre après avoir contourné le restaurant « La Rascasse», au milieu de l'épingle à cheveux.

Cette modification du tracé a permis de reconstruire des stands sur leur emplacement originel, tout en laissant la possibilité d'utiliser le quai Albert 1er et les séparant ainsi nettement de la ligne d'arrivée.

C'est par l'ancienne courbe du « Gazomètre » que l'on accède désormais aux stands, et l'on en sort à peu près à la hauteur du siège de l'Automobile Club de Monaco. Le tracé présente ainsi, entre autres avantages, celui d'être conforme aux nouvelles normes de sécurité imposées par la FIA qui exigent que la zone des stands soit distincte de la piste.

L'ancien tunnel du « Tir aux Pigeons» long de 98 mètres, a été remplacé par un nouveau d'une longueur de 397 mètres, supportant un nouvel ensemble hôtelier.

Au fil des années, les organisateurs, ont réussi à moderniser le circuit tout en lui conservant son originalité première et en permettant au Grand Prix de continuer à parcourir, chaque année, les rues étroites de la principauté.


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Le témoignage de Graham Hill

On conduit au millimètre près entre les maisons...

Aussitôt après le départ, la piste amorce une montée en direction de Sainte- Dévote, la courbe la plus rapide de tout le circuit, qu'on aborde à environ 155 km à l'heure. J'y entre en troisième et j'en sors avec le moteur tournant à près de 9 000 tours. Pour bien négocier ce virage, il faut relâcher l'accélérateur très en avance, passer le plus près possible de la corde, puis rouler au maximum à gauche pour sortir en pleine vitesse et grimper, l'accélérateur à fond, en direction de la place du Casino.

A mi-côte, j'enclenche la quatrième; il y a un petit tournant où l'on peut «redresser» sans histoire. Il faut commencer à freiner au sommet de la côte; il serait dangereux de ne le faire qu'après, car la suspension s'allégeant, on courrait un grave risque si jamais on bloquait les roues. Arrivé en haut de la côte, il convient de réduire les gaz et de freiner avec douceur: la voiture est alors ferme ment sous contrôle avant d'aborder le virage à gauche que j'attaque après avoir rétrogradé en troisième.

A cette hauteur, la piste est nettement en dos d'âne. Aussi, j'essaie de rester à l'intérieur de manière à profiter de la bosse constituée par la partie gauche du dos, pour favoriser l'adhérence. Dès que je me suis assuré que la voie est libre, je redonne un bon coup d'accélérateur et j'arrive sur la place en contre- braquant légèrement. Je rase le trottoir du côté de l'hôtel de Paris (donc à gauche), puis je relève le pied de l'accélérateur, je donne un coup de volant à droite et je dérape légèrement pour contourner la place, toujours en troisième. J'accélère à nouveau à la hauteur des jardins en sentant la voiture se soulever sur une petite bosse.

Il arrive que les roues de certaines voitures quittent complètement le sol à cet endroit. La place franchie, je donne de brefs coups d'accélérateur, mais en l'engageant à fond dans la descente qui passe auprès des night-clubs, le Tip Top et tous les autres. Arrivé à la courbe Mirabeau, où il faut passer en seconde pour pouvoir tourner, je donne un puissant coup de frein. Sur cette partie du circuit, je cherche toujours à rouler au milieu de la piste car, comme elle est bombée, il est avantageux de répartir le poids sur les deux côtés. Dans ce virage, j'effleure généralement le trottoir mais le pavage ayant été refait, la hauteur du trottoir est devenue excessive ; aussi, après avoir abîmé plusieurs roues aux essais, j'ai décidé d'en rester éloigné d'au moins 12 à 15 centimètres. Toujours en descente, j'accélère, l'essieu arrière dérapant vers l'extérieur, en direction du virage suivant, celui de la Gare. Après avoir freiné et enclenché la première, il s'agit de faire très attention en entrant dans le coude pour ne pas risquer d'alIer échouer dans les bottes de paille. D'ailleurs, si j'accélère trop fort, je n'ai plus la voiture en mains au moment d'attaquer là courte suivante.

Aussi convient il d'aborder le tournant après être passé en première, mais sans lâcher les gaz, puis d'accélérer au bon moment en donnant un petit coup de queue et enclencher en même temps la seconde en se rapprochant du virage à droite qui suit. C'est également un tournant à aborder avec vigilance pour ne passe retrouver sur le mauvais côté de la piste en sortie de courbe et pour éviter de faire souffrir inutilement châssis et suspension. Après être passé sous le pont du chemin de fer, on arrive, toujours en seconde, sur le front de mer, après avoir rasé le trottoir vers l'intérieur.

Et nous voici dans le nouveau tunnel, beaucoup plus long que l'ancien ; je finis par arriver à passer en cinquième et j'ai à peine eu le temps de m'habituer à la relative obscurité qui y règne que j'en suis déjà sorti, roulant en direction de la chicane. Au bout d'une petite côte, je lève légèrement le pied et laisse la voiture foncer en contrebas vers la mer ; je freine d'abord modérément puis énergiquement en arrivant à la chicane, deux coups de volant, gauche, droite et me voilà sur le quai du port. Le pavage ne favorise guère l'adhérence, aussi la voiture a-t-elle tendance à déraper aux abords du virage du Débit de Tabac. Dès qu'on en sort, on vire sur la gauche et l'on se trouve sur la nouvelle section du circuit, qui contourne la piscine et qu'en raison de ses caractéristiques, j'appellerais volontiers «le tracé Mickey Mouse». Le premier virage à gauche, qui est plutôt rapide, précède une très courte ligne droite suivie d'un virage serré à droite, puis d'une nouvelle courte ligne droite, et enfin d'un nouveau virage à gauche qui mène au tournant qui contourne le restaurant La Rascasse.

Au bon vieux temps, il était possible d'effectuer des dépassements entre la courbe du Débit de Tabac et le tournant du Gazomètre; il n'en est absolument pas question aujourd'hui et, pour envenimer un peu plus les choses, on tombe sur une bosse à l'endroit du raccord entre le nouveau tracé et l'ancien. L'avantage, en revanche, est qu'en fin de compte, les stands se trouvent totalement à l'écart de la piste, avec un espace bien dégagé pour permettre d'y travailler et avec une entrée et une sortie parfaitement étudiées.

Graham Hill in "Du Mans à Indianapolis"

Les Deux Coqs d'Or© 1976

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