Michel Vaillant

Vincent Desmonts le 15/11/2003

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Le 19 novembre 2003 sort sur les écrans la première adaptation cinématographique de la célèbre bande dessinée créée par Jean Graton. Produit et coécrit par Luc Besson, Michel Vaillant a coûté la bagatelle de 25 millions d'euros et nécessité trois mois de tournage. Mais cette nouvelle superproduction de l'auteur du Grand Bleu est surtout un film de course tourné « dans la course », aux 24 Heures du Mans. Aux commandes des deux bolides engagés par la production dans la célèbre course mancelle, une équipe de pilotes de renom (Emmanuel Clerico, Philippe Gache, Marc Duez, Jérôme Policand, Perry McCarthy), tous habitués des courses d'endurance. Pour diriger cette fine équipe, Luc Besson a embauché Michel Neugarten. Le pilote belge nous raconte ce tournage pas comme les autres...

Motorlegend : Michel Vaillant est loyal, courageux, talentueux... C'est lui qui vous a donné votre vocation ?

Michel Neugarten : Je ne pense pas, non. J'aimais bien lire la bande dessinée, mais c'est tout. J'ai débuté en karting très jeune. Hélas, j'ai du arrêter pour des raisons financières. J'ai repris la course automobile assez tard, en courant en Formule 3000 en Angleterre. Disons que j'aime bien gagner, et, qu'arrivé à un certain âge, il n'y a plus beaucoup de sports où l'on peut gagner. Dans la course auto, si on a encore un bon pied droit, on a toutes ses chances !


EuropaCorp / Jack English / Thibault Grabherr

Motorlegend : Comment un pilote d'endurance vient-il au cinéma ?

Michel Neugarten : J'ai gagné au Mans sur Porsche en 1997, ce qui m'a donné l'occasion de travailler avec John Frankenheimer – quelqu'un qui connaît vraiment très bien l'automobile – et Jean-Pierre Jarrier sur les scènes de poursuite dans le film Ronin. J'ai croisé par hasard sur ce tournage une équipe de Luc Besson, qui a décidé de faire appel à moi. A ce jour, j'ai fait une douzaine de films et publicités pour Europa Corp (la société de production de Luc Besson, NDLR), et ils m'ont proposé d'être conseiller technique pour le film Michel Vaillant. C'est à dire de conduire, mais aussi de choisir les pilotes et les voitures.

Motorlegend : Pour les besoins du tournage, la production a engagé – en collaboration avec l'écurie Dams – deux voitures aux 24 Heures du Mans 2002. Comment le tournage s'est-il inséré dans la course ?

Michel Neugarten : C'était à 100% dans la course : vis-à-vis des organisateurs du Mans, nous étions dans l'obligation de ne pas déranger la course, donc d'être dedans. Et ce qui est incroyable, c'est qu'on n'a dérangé personne, nous n'avons pas eu d'incident, ni d'accident, et tout ce qu'on devait tourner, on l'a tourné. Madame La Chance était avec nous !

Motorlegend : L'une des deux voitures a quand même connu une casse mécanique...

Michel Neugarten : Oui, la Leader, mais elle avait fini de travailler. Seule la Vaillante devait faire l'arrivée.


EuropaCorp / Jack English / Thibault Grabherr

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Motorlegend : Le team Audi vainqueur en 2002 avait pris huit mois pour se préparer. Vous avez disposé d'à peine trois mois. Un vrai défi ?

Michel Neugarten : Oui, d'autant que je devais aussi tester les autres voitures du film, pour voir si elles répondaient à nos exigences techniques. Mais Dams, qui les a également conçues, a fait un travail dantesque! Jean-Pierre Mas, le chef machiniste, a fait un boulot formidable, pour placer les caméras dans les voitures de manière à ce qu'elles ne bougent pas, malgré les « G » qu'on prenait. D'autant qu'elles n'ont pas du tout une ergonomie en rapport avec l'usage qu'on voulait en faire, et qu'elles influent sur l'aérodynamique et la tenue de route des voitures. Il faut en tenir compte, parce qu'on roule à près de 350 km/h, sur des bosses, à quelques centimètres les uns des autres. N'oublions pas que des Porsche et des Mercedes se sont déjà envolées au Mans !

Motorlegend : Pendant le tournage dans la course, pilotiez-vous «à fond», comme si vous deviez assurer le meilleur temps ?

Michel Neugarten : Non. Nous étions presque en conditions de course – la différence ne se voit de toutes façon pas à l'écran ! Il fallait une vigilance accrue à cause de l'aérodynamique, des scènes que l'on devait tourner, et surtout vis-à-vis des autres voitures. Le tout en appuyant au bon moment sur un bouton afin de lancer la caméra, car nous ne pouvions emporter de quatre minutes de film à la fois !


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Motorlegend : Un peu de stress supplémentaire...

Michel Neugarten : Beaucoup ! Pour moi ça va, j'ai vraiment l'habitude du cinéma. Mais certains pilotes, très bons par ailleurs, ne supportaient pas cette pression supplémentaire. J'ai donc restreint le tournage de certaines scènes à tel ou tel pilote. Tous sont excellents, mais ils n'étaient pas tous parfaits pour toutes les scènes. Donc il fallait bien prendre le bon pilote au bon moment.

Motorlegend : Dans les conditions d'un relais 24 Heures du Mans ce n’est pas forcément évident...

Michel Neugarten : Non, rien n'est évident. C'est ça qui est terrible : quand tout c'est bien passé, c'est anormal, tellement c'est compliqué !

Motorlegend : Vous vous êtes fâchés avec les commissaires de piste ?

Michel Neugarten : Non, jamais. Tout le monde a été remarquable. Au niveau sécurité, les gens du cinéma on parfaitement respecté les consignes. Le réalisateur, Louis-Pascal Couvelaire, me laisse le plateau une fois qu'il m'a expliqué ce qu'il fallait faire. Il n'a plus rien à dire, il me laisse travailler. Je décide quand on part, ce qu'on fait, comment ça se passe,... Le réalisateur n'intervient plus. Tout était bien déterminé au départ. L'équipe de tournage s'adresse à une seule personne : Louis-Pascal. Quant à moi, je suis le seul interlocuteur des pilotes. C'est très important.

Motorlegend : Vous avez tourné des travellings à très grande vitesse...

Michel Neugarten : Oui, et toute la difficulté était sur le mouillé : je conduisais la voiture travelling, une Mercedes E500, qui a un potentiel très inférieur aux vrais protos et aux vraies GT que l'on filmait. Donc quand il freinaient, il fallaient qu'ils y aillent doucement. Il y avait pas mal d'huile qui ressortait à certains endroits de la piste, donc si la voiture travelling partait en travers, il fallait que le proto devant réaccélère un peu pour ne pas toucher. Ca se joue à quelques centimètres près, avec une voiture qui pèse près de deux tonnes...!


EuropaCorp / Jack English / Thibault Grabherr

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Motorlegend : Vous avez également eu des soucis avec les insectes...

Michel Neugarten : Oui ! On a eu de la chance, il n'y en a pas eu trop, parce qu’on n’y avait pas énormément pensé. On avait conçu un cache que l'on plaçait sur les caméras, et que l'on retirait au dernier moment lorsqu'il fallait tourner. Mais en même temps, les insectes font partie du jeu : c'est parfois bien pour le réalisme d'avoir la vue un peu obstruée par moments ! On a eu aussi des problèmes de vibrations lors des premiers essais : la Panoz (la Leader) vibrait énormément. Heureusement, le chef machiniste a arrangé ça très vite, et ça n'a jamais plus jamais bougé. Ce n'était pourtant pas facile, parce qu'il fallait sortir et rentrer les caméras à chaque chargement d'un nouveau film ! La manoeuvre durait entre dix et vingt minutes à chaque fois... Ca nous laissait le temps de préparer la scène suivante avec les pilotes.

Motorlegend : Et pendant ce temps-là, il fallait engranger les kilomètres afin de ne pas être éliminé par le règlement de la course...

Michel Neugarten : Oui, d'ailleurs à un moment nous avons fait nos calculs, et il s'est avéré que la Vaillante devait rouler pour faire les 50% de distance obligatoires après 18 heures de course. Après ça, le producteur Pierre-Ange Le Pogam avait envie qu'elle continue à tourner... Mais c'était hors de question : la voiture devait faire l'arrivée, alors pas question de prendre des risques inutiles! On faisait un film, pas la course. Moi, le pilote, j'ai du lui dire ça à lui, le producteur ! C'est paradoxal non ?


EuropaCorp / Jack English / Thibault Grabherr

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Motorlegend : Comment les concurrents ont accueilli la présence des Vaillante et Leader ?

Michel Neugarten : Les concurrents, à partir du moment où on ne les dérangeait pas, ça leur était égal. En fait, ils sont même contents puisque ça leur fait de la pub, et plus les 24 Heures seront connues, plus il leur sera facile de trouver des sponsors. En plus, ils ont salué le fait que la production ait construit deux boxes supplémentaires, ce qui fera chaque année dix pilotes de plus. C'est si difficile de trouver une place au Mans qu'ils ont accueilli ça comme une bénédiction !

Motorlegend : Comment avez-vous travaillé avec le « Michel Vaillant » du film, Sagamore Stévenin ?

Michel Neugarten : On a beaucoup discuté de la course, puis on a loué le circuit du Vigeant où on a tourné ensemble afin qu'il se rende compte de ce qu'est le pilotage. Je l'ai amené au Grand Prix de Monaco, en Supercup, il a rencontré des pilotes et des ingénieurs... Il s'est vraiment pris au jeu.

Motorlegend : Jusqu'à la fin 2002, vous avez tourné des scènes complémentaires sur terre en Italie et sur glace au Mont-Cenis et au Québec. N'est-ce pas déroutant pour un pilote habitué à la piste de passer sur ce genre de surfaces ?

Michel Neugarten : Disons qu'avec Christophe Vaison (le pilote de rallye qui a conçu les voitures des cascades du parc Disney Studios, NDLR), qui supervisait ces scènes, je me suis vraiment bien amusé ! Parce qu'on l'a fait bien «chaud» pour les caméras, très réaliste, mais dans une bonne sécurité et un risque calculé. C'est pourtant pas vraiment mon truc ça : d'habitude, je vais jusqu'à la limite de l'accident, mais pas plus loin ! Mais là, quand on se tapotait un peu, ce n'était pas trop grave. Et puis le Mont Cenis c'est très beau, alors ça permet de voir le paysage d'un seul coup de très près !

Motorlegend : Les scènes à recommencer jusqu'à ce que le réalisateur soit satisfait, les plateaux truffés de caméras (jusqu'à onze dans Michel Vaillant)... Travailler sur un tournage, n'est-ce pas frustrant pour un pilote ?

Michel Neugarten : Quand les choses sont bien faites, on n'a pas à retourner les scènes. En général, la première prise est la bonne, et si parfois on fait une deuxième prise, c'est parce qu'on a un plan de caméra à un autre endroit, ou parce qu'une caméra n'a pas fonctionné, ou bien parce qu’on n’avait pas assez de fumée sur la piste... De toutes façons, quand on a la chance de pouvoir faire un film comme ça, on est toujours content !


EuropaCorp / Jack English / Thibault Grabherr

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Motorlegend : Les films de course automobile ne manquent pas : Grand Prix avec James Garner, Le Mans avec Steve McQueen, plus récemment Jours de Tonnerre avec Tom Cruise. Qu'est-ce qui différencie Michel Vaillant de toutes ces oeuvres ?

Michel Neugarten : Je n'ai pas encore vu le film dans son intégralité (NDLR : au moment de cette interview, le montage n'était pas encore finalisé), mais je peux déjà vous dire qu'il y aura de belles images de course dans des endroits sublimes, très bien filmés, avec une lumière terrible, des accidents incroyables, etc... Pour vous donner une idée, il y a une scène où Michel Vaillant pilote sa Pagani Zonda de nuit sur le circuit du Mans: il arrive à fond sur la grille de départ, et Julie Wood, debout au milieu de la piste, cache ses yeux. Michel pile les freins, et bloque les roues sur 300 mètres... Et la voiture s'arrête exactement à l'emplacement où le lendemain, Michel prendra le départ avec la Vaillante ! Et il y a cette lumière, la fumée bleutée des pneus qui revient envelopper la voiture... C'est incroyable ! Quant à l'histoire en elle même, si elle tient aussi bien la route que nous, ça va vraiment faire un chouette film !

Motorlegend : Quels sont vos prochains projets dans l'auto et le cinéma ?

Michel Neugarten : J'aimerais bien rouler sur un bon prototype au Mans l'année prochaine, parce que je pense qu'il y aura un coup à jouer, puisqu'Audi et Bentley ne seront plus là. Dans le cinéma, j'ai un projet aux Etats-Unis qui est intéressant, mais qui n'en est encore qu'aux prémices.


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Motorlegend : Un projet avec qui ?

Michel Neugarten : Avec un très bon acteur américain. Mais je ne peux pas en dire plus !

Motorlegend : Vous avez désormais une vraie expérience cinématographique, en plus de votre expérience de pilote. Si vous deviez établir un parallèle entre les deux univers... quels sont leurs points communs ?

Michel Neugarten : Dans les deux disciplines on retrouve le même souci de performance, de perfection. Au cinéma comme en compétition, y'a une centaine d'intervenants, tous aussi importants les uns que les autres. Si l'un d'eux fait une erreur, les conséquences sont énormes pour tout le groupe. Et puis ce sont deux univers de passion : dans les deux cas, on vend du rêve. La course automobile, c'est un peu les jeux du cirque !

Motorlegend : A la ville, Michel Vaillant roule en Pagani Zonda. Et vous ?

Michel Neugarten : En scooter ! Et puis j'ai aussi une petite voiture. Décevant hein ? (rires)

Motorlegend : Si Luc Besson lance un Michel Vaillant 2, vous rempilez ?

Michel Neugarten : Si on veut bien de moi, oui !

Propos recueillis par Vincent Desmonts


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